Après chaque voyage d’études, les fellows publieront des blogues au sujet de leur expérience.
Par Christian Sénéchal, fellow ’19
Merci au fellow Jason McVicar pour les belles photos du voyage d’études qui s’ajoutent au récit.
Dernièrement, j’ai eu le plaisir de réaliser l’un de mes rêves, voir le Yukon. La beauté de ses paysages ainsi que la chaleur et l’accueil de ses résidents n’ont pu faire autrement que de me rappeler mon Nouveau-Québec natal. Ce deuxième voyage d’études avec Action Canada m’a bien sûr permis d’en apprendre plus sur l’histoire de ce coin de pays, mais m’a surtout fait mieux comprendre l’exemplarité des relations qu’entretiennent les 14 nations autochtones au Yukon avec les différents paliers de gouvernement. En préparation de ce voyage, nous avons eu l’occasion de lire une série de documents afin de mieux saisir le caractère unique du Yukon. Deux ouvrages m’ont particulièrement marqué :
- « Hunting the northern character » écrit par Tony Penikett, ancien premier ministre du Yukon. En couvrant la période de la guerre froide à nos jours, il nous présente l’histoire et les contextes sociaux politiques des territoires du cercle de l’Arctique ainsi que l’évolution des négociations des traités et des ententes entre les états et les nations autochtones. Un parcours fascinant de la « justification » de l’occupation des territoires, d’abord pour des raisons de défenses nationales, de souveraineté de l’Arctique et ensuite pour l’exploitation des ressources.
- « Together today for our children tomorrow » un texte rédigé en 1973 par les représentants des Premières Nations du Yukon. Pour la première fois de l’histoire canadienne, toutes les Premières Nations d’un territoire se sont réunies pour rédiger et signer conjointement un document qui serait présenté au gouvernement canadien. Ce texte présente ce qui serait pour eux un accord juste et équitable. En plus d’une proposition de ce qui devrait être la base des négociations, ce texte expose dans une simplicité désarmante comment les « Blancs » perçoivent, dans tous leurs préjugés, les « Indiens » et comment ces derniers perçoivent à leur tour les « Blancs » dans une réalité déconcertante. Ce document remis à Pierre Elliott Trudeau deviendra la base des négociations qui suivront et mèneront en 1990 à la ratification du « Final Umbrella Agreement ».
Au cours de nos rencontres avec les leaders autochtones, il nous est vite paru évident que le Yukon avait une considérable longueur d’avance sur tout le reste du Canada quant aux relations avec les Premières Nations. Les revendications territoriales sont depuis longtemps terminées. Quatre-vingt pourcent du territoire est la propriété de 14 nations. Toutes décisions du gouvernement fédéral ou de celui du Yukon ne peuvent donc être entérinées sans une participation aux discussions et l’accord de toutes les nations du Yukon. « La loi des Indiens » ne s’applique plus aux 11 nations qui sont signataires. Le principe d’autogouvernance est établi et implanté (autonomie gouvernementale des nations autochtones). On ne parle pas de réserve, mais de communauté et le terme « conseil de bande » a été remplacé par gouvernement territorial. Plus impressionnant encore, lorsque ces leaders nous parlent de négociations c’est toujours dans une optique de collaboration, de partenariat pour un avenir commun intimement lié au développement durable. « Lors d’une négociation avec les quatorze nations, on ne quitte jamais la table même quand les tensions sont fortes », nous a confié Tosh Southwick, vice-présidente associée d’engagement Autochtone et réconciliation du Yukon College. Robin Bradasch, directrice des Affaires autochtones et Affaires du Nord Canada, a échangé avec nous sur le côté unique du système de gouvernance du Yukon. Elle a entre autres donné l’exemple du dossier de l’éducation où chaque nation a des priorités qui peuvent différer quant à l’éducation. « Chacune d’elle peut décider s’il elle sera responsable de l’éducation postsecondaire ou si cette responsabilité demeurera sous juridiction fédérale ». Elle ajoute : « Quand il y a un chevauchement entre une loi du Yukon et les gouvernements des nations, c’est celle des gouvernements des nations qui a préséance, d’où l’importance de s’entendre ». Pour elle, un accord n’est pas la fin, mais le commencement d’un travail conjoint.
Quelle complexité me direz-vous ? Cependant, les rencontres avec des représentants du gouvernement fédéral, des responsables de l’industrie minière et des élus municipaux mentionnent tous que cela fonctionne. Bien sûr, quand on parle du développement des ressources ou de l’occupation du territoire, on sent une tension entre ceux qui souhaitent avancer rapidement et ceux qui veulent un développement réfléchi, durable et qui aura un effet positif pour les sept prochaines générations. Mais au final, tous s’entendent pour dire que les relations sont bonnes et qu’on réussit à travailler main dans la main.
Je ne peux toutefois pas passer sous silence deux incidents pour le moins particuliers vécus pendant ce voyage. Un de mes collègues fellow, issu des Premières Nations, est le seul à s’être fait intercepter à l’entrée d’une salle de conférence pour se faire dire qu’il s’agissait d’une rencontre privée d’Action Canada. Le lendemain, alors qu’il visitait une boutique de souvenirs de l’aéroport de Whitehorse, la caissière a, deux fois plutôt qu’une, fait le tour des présentoirs afin de s’assurer qu’il ne manquait aucune marchandise.
Il me reste donc de ce voyage ce sentiment que les choses avancent, que le travail accompli au Yukon est non seulement digne de mention, mais que tous les Canadiens devraient s’inspirer du travail accompli par les élus et les leaders dans l’écoute et le respect. Je dois toutefois avouer que ce voyage m’a, une fois encore, démontré qu’à certains égards les préjugés (comme on dit au Québec dans une expression très imagée) « ont la couenne dure ».